Peut on encore manger du poisson en 2022 ?
Actualité - 12/09/2022

La pisciculture est-elle durable ?
Il y a dix ans, j’ai été très touchée par les questions de surpêche, de pollution des eaux et de destruction des fonds marins. Tout cela m’a coupé l’appétit et, plutôt que de me documenter en profondeur sur le sujet, j’ai décidé d’arrêter de manger du poisson : application bête et méchante du principe de précaution !
Quand il a fallu que je nourrisse ma fille aînée, je n'ai pas voulu l'en priver afin de garantir son équilibre alimentaire et son ouverture gustative. Alors je me suis tournée vers le poisson d’élevage qui semble être une bonne piste quand il s'agit de préserver les ressources halieutiques et les fonds marins. Mais est-ce vraiment une bonne solution ?
En creusant la question pour vous, je suis rapidement tombée sur des sujets troubles comme la pollution des eaux, les traitements et la vaccination des poissons, les fuites des poissons d’élevage dans les milieux naturels ainsi que l'épineuse question de l'alimentation des poissons.
L’équation n’est donc pas si simple… mais promis, ma conclusion se trouve à la fin !
Enfin, je dois alerter le lecteur sur mon manque d'objectivité : je travaille à la Ferme au Quartier mais je suis végétarienne. Ces deux biais se compenseraient-ils ?
La question de l'eau
Un des premiers sujets épineux est celui de la pollution de l'eau. En effet, pour les élevages en mer comme en rivière, on sait que les métaux lourds sont absorbés par les poissons et en particuliers par les poissons carnivores en haut de la chaîne alimentaire. Nous les ingérons à notre tour en mangeant les poissons.
L'élevage pollue également l'eau dans laquelle les poissons baignent notamment du fait des surplus d'aliments, des excréments et des résidus d'antibiotiques et autres traitements administrés aux poissons (nous y reviendrons).
Il en ressort donc que le milieu et les pratiques d'élevage sont déterminants pour savoir si le poisson est bon pour notre santé et respectueux de l'environnement. Se passer de traitement et se tourner vers des élevages biologiques peu intensifs sont donc des façons de réduire nettement cet impact !
L'autre problème autour de l'eau est celui de la sécheresse. En effet, l'élevage en bassin ou en étang est soumis à rude épreuve en cas de manque d'eau : les niveaux baissent, la température de l'eau augmente et l'oxygénation diminue; le tout induisant une forte mortalité des populations de poisson.
Le poisson qui se mord la queue
Pour nourrir les poissons d'élevage comme la truite ou le saumon, on leur donne de la farine de... poisson sauvage. Ce sont soit des petits poissons vivant à de faibles profondeurs, spécifiquement ciblés (pêche minotière) et surpếchés (précisément ce que l'on souhaitait éviter en mangeant du poissons d'élevage) ! Soit des déchets de la pêche en mer (espèces écartées dans les filets, excédents ou poissons non vendables car présentant des défauts).
Super, cela rappelle fort l'histoire de la végétarienne que je suis qui mange du fromage.
Bref, si certains envisagent de donner des aliments végétaux à des espèces carnivores, d'autres creusent la question des farines à base d'insectes pour l'instant beaucoup trop chères (7000€ la tonne contre 2600€ la tonne de farine de poisson) mais dont la démocratisation pourrait faire baisser les prix.


La pisciculture du Moulin de charme à Puy-Guillaume
Qu'en est-il des pratiques de notre producteur ?
Zoom sur la Pisciculture du moulin de la Charme
Gaëtan Bruchet est basé dans le Puy-de-Dôme, sur la commune de Puy Guillaume, à moins de 120km de Saint-Etienne.
Il exploite un cours d'eau de première catégorie (c'est à dire généralement plus proche des sources et dans lequel vivent les salmonidés), la Crédogne, à une vingtaine de kilomètres de sa source. Le bassin versant de cette rivière est préservé puis qu'il est composé à 57% de forêts et de milieux naturels.
Il nourrit ses truites et saumons avec des aliments bios garantis 100% issus de résidus de pêche en mer.
Quand l'agriculture biologique permet l'élevage de 25kg de poisson par m3, Gaëtan n'en élève que 8kg; un élevage plus extensif qui limite grandement le risque de pollution du milieu naturel.
Enfin, il n'utilise aucun antibiotique pour traiter ses poissons. Les seuls traitements qu'il utilise sont le sel et l'oxygène afin de combattre les flavobactéries qui peuvent s'installer dans les branchies.
L'année 2019, déjà marquée par le manque d'eau, l'a poussé à installer un système de recyclage et d'oxygénation de l'eau qui apporte une première réponse mais consomme de l'électricité. Pour minimiser le stress, il teste également des solutions d'ombrage et des apports de vitamines dans les aliments. La perte en 2019 fût énorme : 4 tonnes de poisson. Après une année 2021 très clémente, cet été fût à nouveau rude mais les ajustements et une possible adaptation des poissons l'ont conduit à n'en perdre que 700kg. A cela s'ajoute l'augmentation des coûts de l'aliment et de l'électricité...
Moins de perte donc mais toujours trop pour envisager l'avenir sereinement.
C'est pourquoi un magasin de distribution de produits bio est venu compléter son activité et lui assurer une rentrée d'argent complémentaire.
Quand je l'interroge sur l'avenir de la filière, Gaëtan n'est pas très optimiste. Il lui reste 1 an et demi pour rembourser ses emprunts; alors il faut au moins tenir jusque-là !
Cohérence environnementale et défis de la ressource en eau !
En résumé, l'élevage de truites et de saumons me semble avoir un impact plutôt raisonnable sur l'environnement quand il est bien fait ! Et Gaëtan a su m'apporter les preuves de la qualité de son travail. Si l'alimentation à base d'insectes devenait une réalité (sans dérive) et que l'aliment était produit localement, cela n'en serait que mieux.
Du côté des consommateurs, nous devons collectivement réduire notre consommation de poisson. Nous pourrions aussi nous tourner vers des poissons herbivores comme les carpes, cardons, perches et brochets. Il parait même que les silures se mangent et sont très bons...
Quant à la question de la gestion de l'eau, si seulement j'avais la solution...
Enfin, la pêche durable en mer est également une perspective à creuser; nous aurons l'occasion d'en reparler lors d'un prochain épisode !